mardi 26 novembre 2024
Face à la gravité du péril fasciste nul ne reprochera à la CGT d’avoir appelé au vote pour les candidats du NFP aux dernières législatives.
Mais comme le risque existe que nous soyons obligés de renouveler ce type d’appel autant préciser que la CGT doit se faire plus pédagogique sur les limites d’un barrage électoral quand le RN et les forces d’extrême-droite ne cessent de se renforcer.
Plus pédagogique aussi sur les limites du programme de l’alliance électorale des réformistes. Rappelons au passage que le Programme commun allait beaucoup plus loin dans les réformes que les propositions du NFP actuellement. Plus pédagogique encore pour énoncer que l’expérience de la gauche unie au gouvernement nous rend extrêmement méfiants sur l’application dudit programme. Et cerise sur le gâteau plus pédagogique pour rappeler que seule la grève générale expropriatrice peut conduire à un véritable changement de société en balayant les fondements du système capitaliste.
Si nous ne sommes sans doute pas à l’aube d’un tel mouvement social, la CGT est, elle, à l’aube de répéter les erreurs qui ont fait tant de mal durant la période agitée de tensions entre PS et PCF depuis la signature du Programme commun en 1972 et la victoire électorale de 1981, jusqu’au désastre du « tournant de la rigueur » qui débute en fait dès le printemps 1982 alors qu’il est trop commodément daté par l’historiographie sous influence PCF au départ des ministres communistes à l’été 1984.
A longueur de pages dans la VO et jusque dans les plans de travail confédéraux, il semble bien qu’on abandonne la lutte pour l’abrogation de la réforme des retraites à de très hypothétiques succès de niches parlementaires et autres jeux entres députés auxquels nous déléguons la défense de nos droits un peu trop facilement. Cette pente vers des soutiens enthousiastes aux partis de « gauche » de la direction confédérale est naturellement, dans les discours, contrebalancée par le rappel aux « nécessaires mobilisations des travailleurs ». Mais elle ouvre la voie vers des connivences beaucoup plus problématiques quand elles se déclinent sur le terrain, dans les unions locales et départementales, dans les syndicats et les entreprises où les militants syndicaux fréquentent nécessairement les militants politiquement investis dans les partis du NFP, voire sont eux-mêmes adhérents de ces partis.
Certes les organisations du NFP ne sont plus les mêmes que les PS/PCF/Radicaux de gauche des années 70. Mais le mélange des genres et l’utilisation de la CGT à des fins électorales et partidaires demeurent un risque permanent. Quant à la géométrie électorale elle pose toujours la même équation : une majorité électorale victorieuse à gauche passe impérativement par une alliance entre son aile gauche : le PC autrefois, LFI aujourd’hui et son aile droite : le PRG autrefois, l’aile droite du PS aujourd’hui. Un programme anticapitaliste sérieux ne saurait donc être majoritaire sans être contresigné par ceux qui n’y voit que le passage obligé à des promesses qu’ils sont bien décidé à ne pas tenir une fois élus. Pour illustration voir comment le PS (et la CFDT) défendent la « Réforme Touraine » du gouvernement Hollande portant à 43 annuités la validation d’une retraite complète. LFI se retrouve ainsi dans le même piège électoral que le PCF des années 70 mais sans la puissance militante dont pouvait disposer le PC... Rester minoritaire sans alliance ou devenir majoritaire mais avec un boulet au pied !
Certes la configuration à la direction de la CGT elle aussi a changé. Dans les années 70 l’appareil des dirigeants du PCF et de la CGT était pour l’essentiel commun. Rappelons nous qu’en Mai 68, Wladeck-Rochet et Duclos étant absents, c’est Georges Séguy qui fixe la ligne de conduite en appelant (après la « Nuit des barricades au quartier Latin ») à une journée de grève générale le 13 mai tout en précisant que les objectifs de la CGT resteront strictement revendicatifs et taxant de « gauchisme » toute perspective de bouleversement politique. Le poids des militants du PCF reste très supérieur à la représentativité de leur parti. Surtout si l’on ajoute tous ceux qui ont quitté le PCF pour des raisons d’ailleurs opposées : rupture avec le stalinisme parfois, nostalgie du stalinisme pour d’autres ce qui nous vaut des batailles fractionnelles terribles entre eux. Mais tous ont en commun la culture de « la maison d’en face », formule bon enfant pour dire courroie de transmission... Quant aux dirigeants de la FI, beaucoup sont formés à l’idée que le parti d’avant-garde doit naturellement « guider » non seulement les masses mais aussi leurs organisations.
La lecture du dernier livre de Christian Langeois est de ce point de vue très éclairante. Une biographie de Louis Viannet* qui est en fait bien davantage l’histoire mêlée du PCF et de la CGT dans la période du Programme commun qu’une biographie de celui qui sera secrétaire générale de la CGT de 1992 à 2000. Un peu comme dans ses biographies précédentes de Krasucki et Séguy, Christian Langeois livre un récit précis et lucide des arcanes politiques à la direction des PCF et CGT, avec parfois des anecdotes stupéfiantes mais laissant le lecteur sur sa faim. Un récit édifiant sur les mensonges et les erreurs commises mais sans aucun recul critique. Comme s’il lui tenait à coeur de dévoiler des faits historiques mais sans avoir la force d’en tirer un bilan et une critique pour ne pas « désespérer Billancourt ».
Le bilan et la critique sont néanmoins faciles à tirer : l’alignement complet sur un parti et une coalition électorale de gauche provoquent la caporalisation de la CGT où tout responsable syndical se doit de suivre « la ligne », une perte de confiance envers l’outil syndical vécu comme une succursale électorale, la démoralisation militante des travailleurs qui découvrent la trahison des promesses électorales des partis de gauche soutenues sans faille par les instances syndicales malgré la violence des débats internes dont rien ne filtrait à l’époque.
L’indépendance ne signifie pas neutralité. Voilà la phrase magique avec laquelle on détourne régulièrement la Charte d’Amiens dans les formation syndicales et les congrès CGT. Et c’est dans la VO d’octobre que l’on nous refait le coup. Alors que la première partie de l’article évoque correctement la « double besogne syndicale » soit le combat simultané pour les revendications immédiates et la révolution sociale que doit mener la CGT en toute indépendance, l’article s’achève sur l’habituelle répartition des rôles : revendications sociales pour le syndicat ; prise du pouvoir par les partis. Or si la Charte d’Amiens proclame l’indépendance syndicale c’est parce que nos grands anciens comprenaient que là où les partis divisent les travailleurs sur des programmes électoraux différents, le syndicat et lui seul peut les rassembler au delà de leurs divergences idéologiques pour le succès de la grève générale expropriatrice. Si nous rejetons en effet la « neutralité » ce n’est pas pour confier aux partis les changements politiques mais pour mener l’action directe contre la propriété privée des moyens de production et l’Etat au service des propriétaires susdits.
Bien sûr le syndicalisme révolutionnaire du tournant des années 1900 doit se refonder pour affronter les tâches du XXI° siècle. Il nous faut prendre en compte les acquis de l’auto-organisation, la réalité du pluralisme syndical, la multiplication des associations qui combattent sur leurs terrains respectifs. Reste que seule l’affirmation du combat pour la grève générale peut encore permettre aux travailleurs de dépasser les querelles et les trahisons électorales et d’avancer vers la socialisation des moyens de productions.
Il n’y a pas de bouton magique pour déclencher la grève générale mais c’est la voie qu’il nous faut construire.
*Entre hier et demain, Arcane 17 éd. juillet 2024. 22 euros.