dimanche 26 mars 2023
Depuis plusieurs mois, un regroupement hétéroclite de réseaux et de fractions politiques et bureaucratiques aux motivations variées tente de faire entendre une petite musique de fond selon laquelle Marie Buisson, candidate proposée par Philippe Martinez et désignée par la CEC sortante, ne serait pas une « candidate faisant l’unanimité ».
Pour alimenter ces éléments de langage, plusieurs types d’arguments ont été mis en circulation :
1/ Elle ne serait pas « représentative de la CGT et du prolétariat » car prof (en lycée professionnel).
2/ Elle viendrait d’une « petite fédération », qui n’aurait jamais gagné aucune lutte notable.
3/ Elle représenterait un « tournant réformiste » par le lien avec les ONG dans le cadre de « Plus jamais ça » et le positionnement de la FERC pour l’unification syndicale avec la FSU et SUD, et serait prétendument « proche d’EELV ».
4/ Sa candidature ne serait pas « démocratique », car proposée par le SG sortant et la CEC sortante.
À l’opposée, la (non-encore officialisée) candidature de Céline Verzeletti serait, selon ces réseaux plus « rassembleuse » et plus « démocratique » (sic). D’ores et déjà, on ne peut que s’étonner de cette affirmation péremptoire, car reprenons un à un les prétendus arguments pour développer la petite musique d’opposition à la candidature de Marie Buisson :
1/ Une gardienne de prison plus « représentative du prolétariat » qu’une prof de lycée professionnel, vraiment ? Les camarades fondateurs de notre confédération, qui refusaient initialement la syndicalisation des forces répressives de l’État et qui ont connu pour un grand nombre la prison voire le bagne, doivent se retourner dans leur tombe.
2/ L’UFSE comme fédération d’affiliation est encore plus petite que la FERC et on ne peut pas vraiment dire que son orientation tranche par son caractère révolutionnaire ni que sa capacité à mener des luttes, ne serait-ce que sur les salaires, ait été couronnée de succès (a contrario, la FERC, dans les secteurs du sport et de l’éducation populaire, a obtenu des revalorisations salariales de branche supérieures à l’inflation et connaît une progression constante de nombre d’adhérentes et d’adhérents, dans le public comme dans le privé).
3/ Céline Verzeletti est une membre du bureau confédéral sortant, contrairement à Marie Buisson, qui n’y a été intégrée que postérieurement à l’annonce de sa candidature. Céline Verzeletti est donc certainement plus « comptable » des décisions prises par le BC sortant que Marie Buisson, qu’on les soutienne ou qu’on les condamne. La participation à « Plus jamais ça » a bien été prise dans le cadre des instances de la CGT, comme en atteste le relevé de décisions de la CEC, et l’objectif d’une réunification est affirmé à l’article 1 des statuts, qui affirme que la CGT « agit pour un syndicalisme démocratique, unitaire et indépendant au service des revendications des salariés. ».
La décision de travailler sur les question environnementales avec des ONG pour neutraliser la stratégie capitaliste visant à opposer les questions sociales et environnementales a fait l’objet d’un mandat explicite validé au 52e congrès, dans le thème 1 du document d’orientation : « C’est une responsabilité confédérale qui nécessite une coopération étroite entre l’ensemble de nos organisations professionnelles et territoriales et aussi aux côtés d’autres organisations associatives ou politiques, d’organisations non gouvernementales (ONG), de mouvements citoyens, de jeunesse, pour influencer les décisions prises dans ce domaine au niveau local, national et mondial. La dimension environnementale de notre activité syndicale est d’autant plus importante qu’elle revêt des aspects et nécessite des actions dépendant fortement des inégalités de développement entre différentes régions du monde, et des inégalités de classe dans une même société. Les questions sociales sont indissociables des enjeux environnementaux. »
La CEC et Marie Buisson n’ont donc fait qu’appliquer un mandat adopté à une large majorité par le 52e congrès de la CGT.
La proximité de Céline Verzeletti avec le Front de gauche, avérée, elle, s’inscrit dans un réformisme politique qui n’a rien de révolutionnaire. Marie Buisson, quant à elle, est assimilée à EELV pour le seul fait d’avoir pris en charge les questions environnementales dans le cadre de son mandat de la CEC au sein de « Plus jamais ça ». Un peu léger, à moins de considérer que le simple fait de se préoccuper des questions environnementales impliquerait une proximité avec les Verts…
4/ La présentation par le SG, le bureau et/ou la CEC d’une candidature est la pratique historique dans toutes les organisations de la CGT. La quasi-totalité des directions fédérales et des quelques UD qui prétendent que cette pratique serait en soi « antidémocratique » ont été mandatées de la même façon… Cette pratique met au centre la notion de mandat et de « collectif exécutif » en lieu et place d’une logique de « primaires » propre aux partis politiques.
La proposition de candidature de Marie Buisson a été validée à une très large majorité par la CEC sortante, mais aussi par le conseil national fédéral de sa propre fédération. Celle de Céline Verzeletti (toujours pas officiellement déclarée, alors même qu’elle est mise en avant par un certain nombre de directions fédérales) n’a été discutée et votée nulle part. Pis même : le conseil national de l’UFSE prévu avant le congrès confédéral, les 23 et 24 mars, qui aurait été l’occasion d’en discuter, a été entièrement annulé sous le prétexte de la journée de mobilisation du 23 mars. La « feuille de route » des fédérations qui soutiennent l’idée d’une candidature de Céline Verzeletti prétend pourtant que celle-ci serait l’occasion de pratiques « plus démocratiques ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’exemple n’est pas donné dans sa propre fédération. À l’inverse, même si, comme dans toute fédération, la situation n’est pas parfaite à la FERC, le pluralisme y existe, et Marie Buisson a su porter des mandats votés en congrès avec lesquels elle était initialement en désaccord.
En réalité, une partie des directions fédérales qui soutiennent l’idée d’une candidature Verzeletti veut avant tout préserver des pratiques qui relèvent plus du syndicalisme autonome que du confédéralisme, dans lesquelles l’interprofessionnel n’est là que pour jouer les « petites mains » et le services après-vente de décisions prises sans logique de coordination. Preuve en est la pratique consistant régulièrement à mettre les UD devant le fait accompli, pour cette question là comme pour d’autres.
Alors, Céline Verzeletti, candidature « rassembleuse », garante d’une CGT « révolutionnaire », vraiment ? On peut plus qu’en douter. Car pas plus pour elle que pour Olivier Mateu, les postures verbales ne font le syndicalisme révolutionnaire.
Le syndicalisme révolutionnaire, c’est une stratégie fondée sur le syndicalisme d’industrie, les Bourses du travail et les UL, associant défense des revendications immédiates et construction confédérale d’une stratégie de contrôle ouvrier visant à créer les conditions d’une expropriation des patrons, d’une socialisation des moyens de production, d’une transformation globale de la société et de la vie de la cité dans laquelle les syndicats, les UL et UD, aujourd’hui groupements de résistance, deviendront la base de la réorganisation sociale. C’est une stratégie basée sur l’indépendance syndicale et non l’inféodation à un quelconque parti ou une quelconque organisation politique. C’est une logique confédéraliste qui, à la différence de la pratique du syndicalisme autonome, vise à dépasser les particularismes corporatifs pour faire émerger par la pratique interprofessionnelle de proximité une conscience de classe et une stratégie générale de lutte dans l’intérêt des travailleurs et travailleuses.
Aucune des candidatures existantes ou supposées ne porte à ce jour cette stratégie d’ensemble. Celle de Marie Buisson non plus mais elle a au moins le mérite de porter les questions environnementales et féministes (notamment la capacité de prendre des décisions fortes concernant les auteurs de Violences Sexistes et Sexuelles au sein de la CGT), de s’inscrire dans la culture du mandat et non celle d’une logique de « primaires ».
Rompre avec les postures, recentrer sur la pratique, l’analyse des forces et des faiblesses, travailler à la vie et à la démocratie syndicales, au contrôle des mandats, à élargir les collectifs syndicaux et non à les restreindre par la logique délégataire, bureaucratique ou fractionniste, c’est ce qui devrait être au centre des discussions dans la CGT ! Il y aura des voix pour porter ces messages durant notre 53° Congrès. Mais c’est dans la vie et les luttes quotidiennes qu’une CGT révolutionnaire et démocratique se reconstruira sur les ruines laissées par le stalinisme et ses nostalgiques.
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