samedi 9 mars 2024
Depuis longtemps la FSU porte le projet d’une unification du syndicalisme « de transformation sociale » qui vise avant tout la CGT et Solidaires. La mise en place officielle d’un groupe de travail FSU/CGT cet hiver marque un pas en avant vers une unification qui pourrait conforter un pôle syndicaliste combatif, malgré toutes ses limites. Et ouvrir une dynamique plus large.
En 1947/48 lors de la scission CGT/FO, la fédération CGT de l’Enseignement (FEN) choisit l’autonomie pour préserver son unité et le vaste empire coopératif qui allait avec : mutuelle, assurance, éducation populaire, centrale d’achat... Mais c’est au prix d’une disparition des instituteurs dans le syndicalisme interprofessionnel alors qu’ils avaient joué un rôle important dans les Bourses du travail notamment au sein de la mouvance syndicaliste révolutionnaire. Cette autonomie renforcera, à travers les décennies, les habitudes corporatistes de la profession.
Les socialistes, majoritaires dans la FEN, laissent une place aux communistes (39 % des enseignants avaient voté pour rester dans la CGT) et à l’extrême-gauche ce qui se traduit par une structuration autour de tendances permanentes aux mains des partis politiques qui se mesurent dans les congrès des syndicats nationaux et se confrontent en permanence. Les syndicats nationaux sont construits par métiers : instituteurs, professeurs du secondaires, universitaires, assistantes sociales, médecins scolaires... Au fil du temps le syndicat des instituteurs (SNI), corps majoritaire dans l’Education, reste au main des socialistes ce qui leur permet de diriger aussi la FEN. Celui des professeurs du secondaire (SNES) est progressivement conquis par le PCF.
Jusqu’en 1992, la direction du PCF demande à la CGT, non sans rudes débats internes, de ne pas syndiquer les enseignants pour ne pas compromettre les chances de sa tendance (Unité&Action) de s’emparer un jour de la FEN. Car avec la massification scolaire puis le collège unique le corps des professeurs du secondaire gonfle fortement et met à mal la cohabitation historique à la direction de la FEN et la suprématie socialiste. La tendance PS (UID) et le SNI militent alors pour un seul corps d’enseignants où elle préserverait sa majorité dans la FEN en fusionnant les syndicats de métiers. De fait les IUFM et le statut de « professeur des écoles » alignent les niveaux de recrutement et les salaires de base entre primaire et secondaire mais détruit les acquis des instituteurs : trois ans payés de formation en Ecole normale, allongement l’âge de départ à la retraite, disparition de l’obligation de logement par les mairies. Un accord de dupes dont les personnels comprendront vite la supercherie.
En 1992 la scission est consommée. Misant sur l’effondrement du PCF après la Chute du Mur de Berlin, les socialistes éjectent les militants U&A et ceux de la tendance animée par la LCR et des libertaires (Ecole Emancipée). Les premiers vont construire l’Unsa avec des morceaux de FO et d’autres syndicats autonomes. Autour du SNES et des tendances U&A et EE les exclus construisent la FSU. Déconsidérée par son soutien aux gouvernements de Gauche qui ont tant trahis, la FEN s’effondre immédiatement face à la FSU aux élections professionnelles. La FSU est toujours dirigée grâce à un accord politique entre les tendances U&A et EE. Cette alliance a fait d’ailleurs exploser EE, les libertaires refusant la poursuite par la FSU de la co-gestion du ministère même sous des accents plus combatifs.
Dans la même période, des enseignants se battent pied à pied dans la CGT pour créer des syndicats et les faire reconnaître. Ils sont souvent proches du PCF ou de l’extrême-gauche. Le fait est acté en 1992.
Sous le mandat de Martinez des premiers contacts sont pris en parallèle de la création de l’Alliance écologique et sociale. Ces mutations menées au forceps crispent dans la CGT et donnent prétexte aux opposants qui imposent un recul au 53° Congrès confédéral. La décision de la fédération CGT de l’éducation (FERC)* d’entrer dans le projet vient alors légitimer et accélérer le processus. Mais les réticences restent fortes y compris dans l’éducation car si la FSU a un positionnement politique beaucoup plus combatif que l’ex-FEN, elle est restée bien souvent engluée dans la co-gestion et un certain corporatisme.
Ce fonctionnement où les syndicats de métiers sont en fait plus puissants que la fédération elle-même est l’inverse du syndicalisme « d’industrie » de la CGT’Educ où tous les personnels d’un établissement se retrouvent dans le même syndicat local.
La FSU est toujours structurée en tendances idéologiques héritières de 47/48. Certes les partis ne pèsent plus comme avant dans les décisions des directions de tendances. Le PCF en particulier n’est plus qu’une galaxie de positions incapable d’y donner « la » ligne. Pas plus que dans la CGT d’ailleurs. Reste à inventer une démocratie syndicale qui ne soit sclérosée ni par les jeux des tendances officielles, ni par des fractions politiques officieuses...
L’implantation de la FSU dans la fonction publique territoriale, si elle reste marginale, a souvent été réalisée sur le dos de syndicats CGT inféodés à leurs mairies PCF/PS. Bien souvent les fondateurs de ces syndicats étaient des exclus de la Gauche-CFDT. Cicatrices partiellement dépassées par les départs en retraites. Mais l’exclusion récente de 400 cgtistes à la Ville de Paris qui se sont réfugiés à la FSU est exemplaire de quelques bombes à retardement !
Les courants néo-staliniens dans la CGT sont, comme à l’occasion du 53° congrès, curieusement alliés aux lambertistes des deux POI. Pour les néo-staliniens, c’est bien sûr la crainte d’un affaiblissement automatique de leur influence. Pour les lambertistes, il s’agit de défendre les intérêts de FO où ils ont une présence historique importante.
Les obstacles sont donc nombreux et variés ! En parallèle des discussions nationales, il sera décisif que dans les établissements scolaires, dans les localités et les départements, les initiatives de rencontres et d’actions unitaires se multiplient pour gagner la confiance, inventer les fonctionnements nouveaux, créer des comités intersyndicaux permanents. Le retour des militants enseignants dans le syndicalisme interprofessionnel territorial est un enjeu majeur pour une dynamique indispensable à la reconstruction d’un syndicalisme fort.
*Confirmant la position du congrès de 2019, la FERC en 2023 écrit : « Face aux attaques gouvernementales et patronales ainsi qu’à la montée de l’extrême droite, la nécessité d’une unification syndicale est plus que jamais à l’ordre du jour.